19 mars 2007

L'Anpe bouscule poliment les chômeurs vers la sortie

article de bellaciao

vendredi 2 mars 2007 (04h56) :

Lettre ouverte à Christiane Taubira concernant les chômeurs radiés
6 commentaires

26 février 2007

Chère Madame,

Votre mission de Déléguée à l’expression républicaine auprès de la candidate socialiste et la considération que j’ai depuis 2002 pour la justesse de vos engagements me permettent d’espérer que mon témoignage recevra quelque écho.

Je suis conseillère à l’emploi à l’ANPE et j’ai « mal à mon service public ». Au-delà du scandale de la manipulation des chiffres du chômage, je veux témoigner des maltraitances faites aux chômeurs sous couvert de traitement du chômage. Les plus choquantes pour moi qui ai appris un métier d’aide et de conseil sont les « punitions » que l’ANPE inflige aux demandeurs d’emploi sous le moindre prétexte, sans prise en compte de la réalité de leur situation, sans aucun égard pour leur dignité. Les radiations administratives sont un déni de citoyenneté.

579 558 chômeurs ont été rayés en 2006 de la liste des demandeurs d’emploi suite à des radiations administratives : il s’agit du chiffre brut, concernant la France entière (dont les DOM) et les chômeurs « disponibles immédiatement pour un emploi » (catégories 1, 2 et 3). Il saute aux yeux que sans le demi-million de radiations administratives, il n’y aurait pas eu de « baisse du chômage » en 2006 !

La majeure partie des radiations, de l’aveu même des dirigeants de l’ANPE, est consécutive à une absence à convocation. Depuis la mise en place du suivi mensuel (ordonnances Villepin d’août 2005), le nombre de convocations a été multiplié par 6. La radiation administrative est une sanction prévue par le code du travail, qui dit explicitement qu’elle peut intervenir en cas de « refus sans motif légitime » de se rendre à une convocation.

Parmi ces 579 558 radiés, combien n’ont pas été mis en situation de justifier la légitimité de leurs motifs ? Combien n’ont jamais reçu de convocation ? Combien sont découragés par ces convocations multiples, souvent inutiles, vécues par beaucoup comme du harcèlement moral ? Combien ont des soucis de mobilité ou de garde d’enfants qui ne sont pas pris en compte ? Combien ne sont pas informés de leurs droits, combien n’ont ni les moyens ni le courage de les faire valoir ? Présomption d’innocence, bénéfice du doute, ces principes de justice élémentaire n’ont pas cours à l’ANPE !

La procédure de radiation est le plus souvent déclenchée automatiquement par le système informatique. Les demandeurs d’emploi sont gérés comme des « stocks » ou des « lots » (termes utilisés fréquemment en interne, tant à l’ANPE qu’à l’ASSEDIC). Les pressions exercées sur les agents de l’ANPE pour atteindre des objectifs de production de « bons » chiffres imposent la stricte application des règles en matière de radiations. En revanche d’autres règles, plus respectueuses des usagers (comme l’envoi par lettre recommandée des avis de radiation) sont tout simplement ignorées par l’ANPE.

Pour les personnes indemnisées par l’ASSEDIC au titre de l’assurance-chômage ou du régime de solidarité, la radiation se traduit par la suppression brutale de tout revenu. Le crime est-il donc si grave, pour justifier une sanction aussi exorbitante, aussi lourde de conséquences ? Il m’est insupportable que l’ANPE, dont la principale mission est d’aider les personnes privées d’emploi, génère aveuglément encore plus de précarité, encore plus d’humiliation, encore plus d’exclusion. Le chômeur radié n’existe plus, il n’est plus rien, il ne « compte » plus. S’il doit y avoir un contrôle des chômeurs, il ne peut pas se faire dans ces conditions indignes des valeurs républicaines.

Au titre de ma contribution aux débats citoyens, pour
— l’application équitable des règles et des lois
— le respect des droits élémentaires des usagers
— le recentrage de l’ANPE sur ses missions
— la vérité sur les chiffres

je propose que soit mise à l’étude la décision d’un moratoire sur les radiations administratives.

Certaine de trouver en vous un porte-voix convaincant, je vous prie d’accepter, chère Madame, mes remerciements.

Catherine Cadier



De : Catherine Cadier
vendredi 2 mars 2007

ANTHOLOGIE DU FLICAGE DES CHÔMEURS

paru sur cqfd

Mis à jour le :15 janvier 2006. .


« Fini le traitement égalitaire. Désormais, selon leur profil et leur positionnement sur le marché de l’emploi, ils seront orientés vers des parcours différenciés. Les chômeurs spécialisés des métiers en tension (hôtellerie, restauration, BTP), où les patrons cherchent de la main-d’oeuvre à bas coût, seront convoqués au moins tous les quinze jours à partir du premier entretien. Ils seront même détectés dès leur inscription aux ASSEDIC, qui auront accès aux plannings des ANPE pour leur fixer un rendez-vous express. [...] Cette fréquence des rendez-vous servira à maintenir la pression et à multiplier les radiations pour non-réponse à convocation ou refus d’emploi. Le suivi des chômeurs les plus difficilement reclassables sera carrément confié à des sociétés sous-traitantes de l’ANPE. »
L’Humanité,
02/01/05

« Vous n’imaginez pas le nombre de radiations ubuesques que l’on nous raconte, les agents de l’ANPE déprimés par les pressions. Et la mise en place du suivi mensuel des chômeurs, sous couvert d’être plus efficace, tient plus du bracelet électronique que de l’aide réelle ! Comment voulez-vous qu’un agent de l’ANPE, dont un sur quatre est déjà précaire, suive sérieusement quatre cents entretiens par mois ? »
Jacqueline Balsan
vice-présidente du Mouvement national des chômeurs et précaires
Libération, 07-08/01/05

« Aujourd’hui, mardi 13 décembre 2005, je viens d’assister à un “spectacle” hallucinant à l’ANPE de la cité Charles-Godon, Paris IXe. Convoqué à 14 heures pour un entretien individuel destiné, dans le cadre du plan de reconversion Villepin-machin-bidule, “à voir avec vous les modalités d’une reconversion,etc.”, je trouve devant l’ANPE un attroupement de trente personnes environ. Une manif ? Non. Des chômeurs attendant l’ouverture des portes, tous convoqués au même "entretien individuel”. [...] Cinq minutes plus tard, nous nous retrouvons à cinquante-sept chômeurs - j’ai compté ! - entassés dans une salle de trente places. Et là, surprise ! Une dame de l’ANPE arrive, pas très à l’aise : “Mesdames et messieurs, voilà. Dans le cadre du plan de reconversion machin-bidule, l’ANPE vous propose de participer à un stage de deux cents heures. ”Une voix s’élève dans la salle : “Pardon, Madame, sur la convocation, c’est écrit entretien individuel ! C’est quoi, ce délire ?” Le ton monte dans la salle. “Non, non, c’est une erreur. Il s’agit bien d’une réunion, une réunion de préparation à un stage.” “Mais quel stage ? On n’a pas demandé de stage !” “Un stage réservé aux bénéficiaires de l’ASS.” “Madame,je ne suis pas allocataire de l’ASS, pourquoi ai-je été convoqué ?” “Ah,euh ! Y a-t-il d’autres personnes dans ce cas ?” Cinq ou six personnes lèvent la main. [...] Et c’est alors, suspense, que la dame de l’ANPE, de plus en plus paumée et débordée de toutes parts, nous informe que le stage démarre le 14 décembre à dix heures, c’est-à-dire le lendemain même ! Chez les chômeurs, c’est l’escalade. “Et qu’est-ce qui se passe si on ne peut pas aller au stage ? On est radiés des listes ? Vous rouvrez Cayenne ? ” [...] Dix minutes plus tard, dans un bordel indescriptible, je quitte la salle après avoir indiqué que je n’avais rien à faire dans ce stage, suivi ou précédé par quelques autres. Mais que vont devenir mes collègues les cinquante-sept pékins ? Que va-t-il arriver à tous les chômeurs qui, pour une raison ou une autre, ne pourront être présents LE LENDEMAIN MATIN à Montrouge ou à Pétaouchnok, pour commencer un stage-poubelle-flicage de deux cents heures ? »
Jean-Jacques Reboux
témoignage disponible sur http://paris.indymedia.org

Anthologie publié dans le n° 30 de CQFD, janvier 2006.

Le vrai visage de l'ANPE

paru sur cqfd

CQFD N°030

LES AGENTS ANPE SOUS PRESSION POUR FAIRE DE L’ABATTAGE

LE CONTRÔLEUR CONTRÔLÉ

Mis à jour le :15 janvier 2006. Auteur : Olivier Cyran.

Il y a pire que d’aller à l’ANPE : y travailler. Chargé du contrôle des chômeurs dans une agence de la France profonde, Jean-Paul est fatigué de devoir les radier par paquets de douze. Fatigué du despotisme qu’il faut à la fois subir et faire subir, dans le cadre d’un service public imprégné jusqu’à l’os par l’idéologie de la gagne. Il a accepté de s’en ouvrir à CQFD, à condition de rester anonyme. Car bien que responsable syndical (SUD-ANPE), il n’est pas libre de se lâcher pour autant.

CQFD : Depuis quand es-tu agent ANPE ?

Jean-Paul : Ça fait quatorze ans. Quand je suis entré à l’ANPE en 1991, les agents n’étaient pas trop formatés, la responsabilisation personnelle du chômeur n’était pas encore l’idéologie dominante. À l’époque, dans ma petite agence, on comptait une dizaine de radiations par an. Aujourd’hui, on en est à plusieurs centaines par agence.

Pour l’usager, l’ANPE est de plus en plus une machine à broyer les chômeurs. Comment les agents vivent-ils ce rôle ?

De l’extérieur, on n’en voit que les conséquences : convocations à répétition, menaces, sanctions, radiations... Mais de l’intérieur, on voit la mécanique mise en oeuvre pour que le système fonctionne. C’est important de la faire connaître aux chômeurs, pour qu’ils comprennent les ficelles et se sortent de la relation de soumission qu’ils ont trop souvent envers nous, et qui n’est que l’envers de notre propre soumission. Tout en étant en situation de contrôle, on se retrouve en effet soi-même à en subir un, qui fait que le système va bien entrer dans nos têtes. Commençons par un cas concret, que j’ai vécu récemment dans la région où je travaille. Il s’agit d’un gars au chômage depuis un an, appelons-le Hugo. Hugo veut créer une petite maison d’édition, une idée qui l’a pris peu après son licenciement. Il se lance, mais le conflit prud’homal qui l’oppose à son ancien employeur l’empêche d’effectuer toutes les démarches nécessaires. Or, pour le conseiller ANPE modèle, ce genre de problème ne compte pas : quelle que soit sa situation, le chômeur doit être capable dans les quinze jours qui suivent son inscription d’être opérationnel pour chercher un emploi. Avec une création d’entreprise, c’est un peu différent, car c’est un projet à long terme. Encore faut-il d’abord l’évaluer. Ce boulot d’évaluation, l’ANPE le soustraite à un cabinet spécialisé avant de valider ou non le projet. Revenons à Hugo. Après plusieurs mois de flottement, il demande de lui-même une évaluation. Celle-ci conclut au sérieux du projet et préconise de donner un an de plus à Hugo pour qu’il le mène à bien. Ce bilan est envoyé au référent ANPE, qui décide alors de ne pas valider le projet... et de radier Hugo.

En somme, l’ANPE rémunère un cabinet privé à faire des évaluations qui ne seront prises en compte que si elles desservent le chômeur...

Non, ça dépend de l’agent. En fait, la décision de radier appartient au directeur de l’agence. Mais l’agent a le pouvoir de remplir un formulaire qui est ce qu’on appelle un avertissement avant radiation. Ça veut dire que le chômeur visé a quinze jours pour fournir ses justifications, après quoi le directeur peut décider de lui couper les vivres. Déjà, quand tu reçois ça, ça fait assez mal. Sur le formulaire envoyé à Hugo, l’agent a coché la case : « constate que vous n’avez pas accompli d’actes positifs et répétés de recherche d’emploi. » C’est l’une des nouvelles formules introduites par le décret du 2 août 2005, qui amplifie l’échelle des sanctions pour les chômeurs. La sanction la plus légère, c’est quinze jours de suspension. C’est énorme. Dans une entreprise, une mise à pied d’un jour est déjà une sanction grave. Trois jours sans salaire, c’est gravissime. Pour un chômeur, par contre, quinze jours sans alloc, c’est juste une tape sur les doigts. Le décret prévoit jusqu’à trente-huit situations justifiant une sanction ! Hugo a donc le dos au mur. Coup de bol, tout en faisant ses démarches pour devenir éditeur, il a aussi cherché du boulot. Il renvoie un dossier en béton de trente pages, avec copie de tous ses courriers aux employeurs. En réponse, un courrier signé « le directeur » - il n’y a jamais de nom - lui dit : « Vos arguments ne sont pas susceptibles de changer ma décision. » Et hop, radié ! Voilà, c’est un exemple de la façon dont ça se passe aujourd’hui.

Les agents ANPE sont-ils incités à faire de l’abattage ? Ont-ils des objectifs chiffrés ?

Il y a effectivement des objectifs, non pas de radiations, mais de baisse du taux de chômage, même si dans les faits l’un participe à l’autre. Ces objectifs sont assignés agence par agence. On nous dit par exemple : les demandeurs d’emploi inscrits depuis plus de deux ans doivent baisser de 11 %. Ou le taux de chômage des femmes doit diminuer de tant... Parallèlement il y a aussi des objectifs de collecte d’offres d’emploi, de mises en relation avec les employeurs, etc.

Et si l’agence n’atteint pas ces objectifs, on radie aussi le directeur ?

Au pire, seulement dans son porte-monnaie... Depuis deux ans, les membres de la hiérarchie - animateurs d’équipe, directeurs d’agence, directeurs départemental, régional, national - reçoivent une prime annuelle variable dite de responsabilisation lorsque les divers objectifs sont atteints. Pour un directeur d’agence, cette prime peut représenter entre un et deux mois de salaire. Les agents, eux, ont droit à une petite prime dite d’intéressement régional, liée elle aussi aux objectifs.

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Il y a donc un intérêt financier à tailler dans les listes ?

Oui, mais il ne s’agit pas d’une incitation personnalisée. Pas encore. Pour le moment, la prime dépend des résultats de l’agence. À la limite, si un agent est trop sympa avec les chômeurs, ses collègues peuvent lui reprocher de faire baisser la moyenne. Après, il y a d’autres formes de pression. Le directeur peut mettre plus ou moins le paquet sur le personnel. Ça dépend de sa conformité au discours ambiant, qui dit que l’allocataire est un profiteur et que la société doit lui botter les fesses. Tout est fait pour que le personnel ANPE suive cette pente-là et ne s’encombre pas de scrupules. La division des tâches, par exemple. Avant, l’agent qui convoquait le chômeur était le même que celui qui le recevait. Plus maintenant. Il y a un agent qui convoque, un autre qui reçoit, un autre encore qui distribue les avertissements, etc. En dispersant les rôles, on déresponsabilise chaque rouage.

Comment les agents qui contrôlent sont-ils contrôlés à leur tour ?

C’est selon les directeurs, là aussi. Certains ne contrôlent rien, mais d’autres, de plus en plus nombreux, exercent un rôle hiérarchique fort. Par exemple, lors de nos réunions hebdomadaires, certains examinent tes relevés d’entretiens et vont te dire devant tout le monde : « Et lui, pourquoi il n’est pas en atelier de recherche d’emploi ? » Si tu considères que l’ANPE n’a rien à proposer, on te dira que ce n’est pas normal. Reste qu’un conseiller n’est jamais obligé de faire du zèle. Dans les formulaires de radiation, il y a cette formule : « Je suis contraint de vous radier. » C’est faux. On a parfaitement le choix.

Tu parlais de la soumission du chômeur à son contrôleur ANPE. Comment s’instaure-t-elle ?

Depuis quelques années, la philosophie de la maison veut que les mesures que nous prescrivons - c’est le terme médical utilisé chez nous - soient approuvées par nos « patients » (je plaisante !) On a donc mis en place un système dit de diagnostic partagé, qui consiste à dire au chômeur qu’on va se mettre d’accord avec lui sur telle ou telle démarche qu’il aura à faire. En réalité, il n’a pas vraiment le choix. Mais dans nos conclusions d’entretien, on va mettre qu’il partage la décision, avec des formules du genre : « Vous vous engagez à... Nous tombons d’accord que... » Des consignes très précises nous ont été données à ce sujet. Tout doit être saisi en informatique. Le but étant de mouiller les gens pour qu’ils ne puissent pas contester les décisions. C’est une mécanique bien pesée. D’un côté, l’ANPE développe tout un discours sur l’autonomie du chômeur, de l’autre, elle décrète si le chômeur est autonome ou non. C’est une injonction paradoxale : soyez autonome mais faites ce qu’on vous dit. Car c’est toujours le chômeur qui pose problème, jamais l’économie. S’il ne retrouve pas de travail, c’est parce qu’il ne présente pas assez bien, parce qu’il manque de gnaque, parce qu’il n’est pas concurrentiel sur le marché du travail, etc. Dans les débats de l’Assemblée nationale préalables au décret du 2 août, un député, Jean-Paul Anciaux, a dit : « Tout demandeur d’emploi doit être l’acteur principal de sa propre réinsertion. » Ça, c’est vraiment l’idéologie dominante, y compris à l’ANPE : les chômeurs sont maîtres de leur destin. S’ils restent sur le carreau, c’est de leur faute. Ça fait des dégâts. Lors des entretiens, on sent bien le sentiment de peur et de culpabilité qui tenaille beaucoup de chômeurs. On se retrouve face à des gens qui ont de la bouteille et qui vont quand même se justifier par avance, avant même qu’on le leur demande. On les sent prêts à se plier à tout ce qu’on va leur dire. C’est assez effrayant.

Dans cette relation, l’outil informatique semble jouer un rôle important...

Effectivement. Les conclusions d’entretien sont stockées pour des années dans la mémoire informatique de l’ANPE. Sur la durée, cette « traçabilité » peut faire apparaître des incohérences dans les engagements du chômeur. Dans ce cas, malheur à lui... Et puis il y a les erreurs. Il arrive assez souvent, par exemple, qu’on oublie d’appuyer sur la touche « validation » à l’issue de l’entretien. Le demandeur d’emploi sera alors automatiquement classé comme n’étant pas allé à la convocation, avec tous les risques de sanction que cela implique. Les agents sont débordés, il nous arrive souvent de faire des erreurs. L’ennui, c’est que l’outil informatique les rend difficiles à détecter et plus difficiles encore à contester.

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Il arrive donc que des chômeurs se fassent radier par erreur ?

Ah oui, c’est fréquent. Quand ils peuvent prouver qu’on a fait une boulette, on les réintègre. Mais s’ils ne le peuvent pas, c’est galère !

L’ANPE fait de plus en plus appel à des sous-traitants. Ça allège votre travail ?

Non, ça peut au contraire ajouter de la pression. À 95 %, toutes les prestations que l’on propose - évaluation, ateliers, bilans de compétence, etc. - sont sous-traitées à des boîtes. Le truc, c’est que ces prestations ne leur seront payées qu’à partir d’un certain nombre de chômeurs. On ne va pas faire venir un formateur juste pour deux personnes. Alors on nous met la pression pour qu’à tout prix il y ait du monde dans ces groupes.

Ton travail a-t-il beaucoup changé depuis la directive du 2 août ?

Pas vraiment pour le moment. Les radiations à haute dose ont été lancées il y a déjà trois ans, la directive n’a fait que rajouter une couche à ce qui existait déjà. La nouveauté, c’est que l’Assedic peut désormais suspendre les allocations ou faire du contrôle, ce qu’elle ne faisait pas avant. C’était l’une des demandes du Medef. Les agents Assedic n’ont pas notre côté « psycho-sciences humaines », eux, ce sont des purs gestionnaires. Mais le vrai bouleversement, c’est le suivi mensuel des chômeurs, fondé idéologiquement sur une logique de résultats. Tout le monde s’attend à ce que la multiplication des convocations entraîne celle des radiations et des cessations d’inscription.

Le profil psycho-social dont tu parles n’a-t-il pas déjà été remplacé par un profil manager-tape-dur ?

Disons que la logique interne y encourage. On doit montrer qu’on est concurrentiels. On va être meilleurs en ayant des fichiers de candidatures fiables, avec des demandeurs d’emploi motivés et adaptés au marché. En radiant par paquets les chômeurs invendables, découragés ou qui s’en foutent, on prouve donc qu’on est un bon service public ! On retrouve la même idée sur notre site Intranet. Le 31 octobre, notre portail s’ouvrait sur une manchette qui se félicitait de la hausse des consultations sur le site de l’agence : « www.anpe.fr franchit la barre des trois millions de visiteurs, de nombreux records sont tombés. » Comme s’il y avait de quoi se réjouir. Pour l’ANPE, il faut gagner des parts de marché et faire mieux que les autres, mieux que les boîtes d’intérim qui sont pourtant nos partenaires. Beaucoup d’agents rentrent dans cette logique de compétition parce qu’elle valorise leur travail. On n’est plus des fainéants de la fonction publique, mais des prestataires performants capables de battre le privé, notre modèle ! À cet égard, une étape importante a été la création, dans les années 90, d’un centre de formation pour notre encadrement. Son appellation veut tout dire : « Institut du management. » D’ailleurs, je ne sais pas si tu le sais, mais pour l’ANPE, tu n’es pas un chômeur mais un client.

En l’occurrence, je ne suis pas franchement roi...

Le client est roi quand c’est l’employeur. Quand c’est le chômeur, il n’est plus roi du tout. Il faut noter qu’il y a beaucoup de triche dans les résultats proclamés par l’ANPE. On va par exemple piquer des offres d’emploi dans un journal et les intégrer à nos statistiques, alors qu’il n’y a eu aucun travail de fait. Toujours le culte du résultat. Ce qui me souffle, c’est de voir que lorsqu’ils sont radiés, les chômeurs non indemnisés réagissent de la même façon que les chômeurs indemnisés. Comme si l’ANPE offrait malgré tout une sorte de reconnaissance sociale. Un jour, une dame de 55 ans au chômage qui avait reçu par erreur un préavis de radiation s’est pointée à l’agence, folle d’inquiétude. Elle vivait à la campagne et avait dû faire 40 bornes en taxi pour venir nous voir. J’étais à l’accueil ce jour-là. J’ai vite vu qu’il s’agissait d’une bourde et je lui ai dit de ne pas s’inquiéter. Puis j’ai déchiré le papelard. À la tête qu’elle a fait, j’ai compris que je n’aurais pas dû : en deux secondes, un document qui lui avait coûté une trouille terrible et 80 bornes de taxi est parti à la poubelle, sous ses yeux. Pour moi, c’était juste une erreur de plus. Pour elle, c’était un choc.

Propos recueillis par Olivier Cyran

Article publié dans le n° 30 de CQFD, janvier 2006.

08 mars 2007

Chris Isaak - Wicked Game

#1



#2


#3
Lynch's version




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Scandale permanent des hotlines surtaxées: l'exemple de NOOS

Lu sur Agoravox: http://www.agoravox.fr/tb_receive.php3?id_article=7931

Pronétaires de tous les pays, unissez-vous... contre les abus des hot-lines !

Nous disposons désormais d’un nouveau moyen pour faire face aux abus des hotlines: Internet et les vidéos blogs. Cet article explique, exemple personnel à l’appui, comment chacun d’entre nous peut agir individuellement pour essayer de faire changer les choses en s’armant d’une simple caméra, d’un peu d’ironie, et de beaucoup de patience...

Je suis sûr qu’un jour ou l’autre, vous avez déjà été « victime » d’un service clients (hotline) peu scrupuleux qui vous a gardé des dizaines de minutes au téléphone pour ne pas résoudre votre problème, et parfois en vous menant allégrement en bateau... La plupart des litiges sont occasionnés quand on a le malheur de devoir contacter le service clients d’un fournisseur d’accès à Internet, d’un cablo-opérateur ou d’un opérateur de téléphonie mobile...

Le problème des abus des hotlines payantes est un scandale qui a été dénoncé à maintes reprises par plusieurs associations de consommateurs, en particulier Que Choisir, ainsi que par de nombreux médias, tel le Journal du Net.

Depuis que j’ai lancé AgoraVox, parmi les articles qui m’ont le plus marqué, il y a sans aucun doute celui d’Alain Lambert, sénateur et ancien ministre du budget, qui relate ses mésaventures avec l’opérateur du câble Noos. J’ai été frappé par la démarché d’un sénateur qui, pour une fois, essaye de se mettre dans la peau d’un consommateur quelconque et essuie ainsi les plâtres cruellement... Force est de constater que même sa démarche, très originale et inédite, n’a pas rencontré le succès qu’il en espérait... D’ailleurs, il vient de résilier son abonnement, faute d’avoir réussi à régler son problème.

Après son article, j’ai pas mal échangé par e-mail avec Alain Lambert, qui m’a déclaré que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne voyait pas comment éviter une réglementation tant les opérateurs sont incorrigibles. Une phrase m’a beaucoup frappé : « Vous trouverez difficilement plus libéral que moi au plan économique, et pour que j’en arrive à penser à légiférer pour contenir leurs excès, c’est qu’il n’y a plus d’espoir. Le DGCCRF me le confirme régulièrement par mail. Il les voit chaque semaine, ils mentent, ne tiennent aucun de leurs engagements. Ce sont des marchands de soupe. Des bandits qui abusent de leur position ».

Malgré mon inexpérience totale dans le domaine, je me suis donc amusé d’abord à enregistrer et ensuite à filmer d’interminables appels avec la hotline de Noos, juste pour montrer à quel point, de temps en temps, on nous raconte n’importe quoi, uniquement dans le but de nous faire attendre en ligne au lieu de résoudre nos problèmes. Et parfois même en mentant de manière flagrante, en disant l’inverse de ce qui est marqué sur le site Web de l’opérateur (lequel, hélas pour eux, est filmé en simultané...). Avec la mise en ligne de cette vidéo, nous lançons également un appel à d’autres témoignages qui iraient dans ce sens, car notre quotidien est jalonné d’abus ou de situations surréalistes plus ou moins graves qu’il faut dénoncer, sans toutefois tomber dans le populisme ou la démagogie.

Internet, les médias citoyens et la démocratisation des technologies rendent tout ceci extrêmement simple. Désormais, un simple néophyte avec un téléphone ou un caméscope peut enregistrer, filmer et mettre en ligne tout ce qui lui arrive. Des sites très innovants comme DailyMotion permettent même d’enregistrer en direct vos vidéos et de les exporter dans un format universel (flash).

Je n’ai rien contre Noos en particulier, même si, moi qui suis abonné depuis une décennie avec eux (monopole du câble oblige), on me traite parfois au téléphone comme un gamin de dix ans... Autrement dit, je ne pense pas qu’ils soient pires que les autres opérateurs. Il s’agit là d’un fléau généralisé et peut-être sciemment organisé.

D’ailleurs, l’anecdote qui me concerne n’a rien de vraiment scandaleux en soi. J’ai entendu des histoires mille fois plus graves que la mienne. Mais au moins, ce qui m’est arrivé permet de lancer le débat, et d’initier, peut-être, une nouvelle forme de protestation citoyenne.

En deux mots, un jour, j’ai eu la « folle idée » de vouloir les chaînes Noos sur un deuxième appareil TV... Naïvement, possédant déjà deux décodeurs mais une seule carte, j’ai cru qu’il me fallait demander simplement une deuxième carte. Pas du tout ! Après d’interminables discussions (45 minutes de va-et-vient avec tous les services de Noos, que, hélas, je n’ai pas enregistrées), on m’explique d’abord que cela est possible mais uniquement en me rendant dans une agence. Ensuite, lors d’un deuxième appel, on me fait finalement comprendre que même si en théorie je n’ai besoin que d’une simple carte, en pratique je vais être obligé de louer un troisième décodeur et de payer l’intervention d’un installateur, malgré le fait que les deux décodeurs que j’ai marchent très bien, sans besoin de la moindre intervention. En appuyant sur le bouton vert "play" vous pouvez écouter quelques extraits "raccourcis" de l’enregistrement audio original (on peut avancer en bougeant la barre de défilement vers la droite). L’original complet est disponible à la fin de l’article (assez long en raison des interminables temps d’attente...).

EXTRAIT AUDIO DU 10/01/2006

Pris un peu en otage, et n’ayant d’autre choix que d’accepter, je me résigne au fait de devoir payer pour une intervention inutile et pour cet autre décodeur dont je n’ai pas besoin... Je m’apprête donc à effectuer mon troisième appel, deux jours plus tard, pour souscrire cet autre abonnement. Et là, surprise des surprises, on m’annonce que, malheureusement pour moi, les tarifs viennent tout juste de changer, et que ça va me coûter encore plus cher que prévu. Très étonné, j’ai le réflexe d’aller voir les tarifs sur leur site Web pendant la discussion, et je ne retrouve pas du tout ces nouveaux tarifs. Je le fais remarquer à mon sympathique interlocuteur, qui ne me croit pas. Je l’oblige alors à taper l’adresse de son site et à regarder l’offre qui est en ligne. Après de longues discussions, il ne trouve rien de mieux que de me raccrocher le téléphone au nez (pour voir la vidéo, cliquez sur la photo au format flash ou téléchargez le fichier wmv) !

EXTRAIT VIDEO DU 10/01/2006


Quand Noos me raccroche au nez (version courte)
Vidéo au format Windows Média Player


Morale :
trois coups de fils interminables, pour un total de 103 minutes, à 0,34 euros la minute, soit
35 euros, pour me faire raconter n’importe quoi et pour qu’en plus on me raccroche au nez !

A ce stade, dans l’attente d’une législation qui, curieusement, tarde à voir le jour, la seule chose que nous puissions faire, je crois, c’est d’utiliser la technologie, et un peu d’ironie, pour montrer publiquement, de manière massive, ce que ces hotlines font subir quotidiennement à leurs clients chéris... C’est entre autres pour cette raison que nous venons de lancer AgoraVox Tv qui est une plate-forme de diffusion de vidéos citoyennes liées à l’actualité (interviews, reportages, manifestations, grèves, etc.). Le service vient d’être lancé et permet à tout un chacun de soumettre en quelques clics une vidéo de manière très simple.

Comme me le confiait récemment Alain Lambert, « la question des services clients par hotlines va devenir un des sujets majeurs de révolte des consommateurs dans les mois et années qui viennent ».

Le terme révolte revêt une signification toute particulière pour moi depuis quelque temps...

Quand je pense à la révolte du pronétariat ou aux pronétaires en général, je n’ai pas du tout une vision théorique du phénomène. Comme le précise bien Joël de Rosnay dans l’ouvrage auquel j’ai collaboré, les pronétaires constituent une nouvelle classe d’usagers des réseaux numériques capables de produire, de diffuser, de vendre des contenus numériques non propriétaires. Les pronétaires sont donc les citoyens qui sont sur Internet, qui sont favorables à son essor, et qui l’utilisent pour atteindre leurs objectifs, et surtout pour défendre leurs intérêts ainsi que leurs droits.

Pour aller dans le même sens, et peut-être un peu plus loin, j’ajouterai que si les prolétaires, historiquement et étymologiquement, ne disposaient que de leur progéniture comme ressource (du latin « prole »), les pronétaires, eux, ne disposent que d’Internet et des outils de production numériques s’ils veulent se faire entendre...

Avec l’explosion du phénomène de la vidéo sur Internet, je pense que nous allons voir apparaître prochainement une nouvelle catégorie de vidéo-blogueurs que l’on pourrait appeler les "activistes" ou, si on veut enlever toute connotation politique, les "témoins citoyens". Il s’agit de tous ceux qui auront décidé de témoigner de certains dysfonctionnements graves de notre société en les filmant. Parfois, l’impact des images peut être bien plus percutant que celui de l’écrit. Vous avez beau décrire en long et en large que le système des hotlines payantes est inefficace et coûteux, si vous arrivez à le montrer avec une vidéo, l’impact peut être bien plus puissant.

Pour conclure, je pense qu’avec les vidéo-blogs, le phénomène de la vidéosurveillance va s’inverser. Jusqu’à présent, c’étaient les mairies et les magasins qui imposaient une vidéosurveillance, du haut vers le bas, afin de filmer les prétendus abus de leurs citoyens ou consommateurs. Maintenant, c’est l’inverse qui se produit. Avec leurs milliers de caméras, ce sont les citoyens qui décident d’aller filmer les conseils municipaux de leur ville pour témoigner des excès de certains hommes politiques, et les consommateurs feront de même avec des vendeurs peu scrupuleux. Voilà une facette de la "révolte du proNétariat", qui risque de ne pas plaire à tout le monde... Naturellement, ce processus n’est pas sans risques, et les dérives potentielles sont très fortes (populisme, manipulation des images, désinformation accrue...) mais le phénomène est inéluctable. A nous de trouver les garde-fous nécessaires pour minimiser les dérives potentielles.


Pour ceux qui n’ont pas peur de s’ennuyer, ou qui veulent vérifier les versions d’origine sans montage, voici les versions intégrales de l’appel du 10/01/2006 enregistré au format audio (mp3) ainsi que de l’appel du 12/01/2006 enregistré au format vidéo (flash et wmv) :

ENREGISTREMENT AUDIO COMPLET (10/01/2006)


ENREGISTREMENT VIDEO COMPLET (12/01/2006)


Quand Noos me raccroche au nez (version longue)
Vidéo au format Windows Media Player

Et pour vous montrer que Noos est loin d’être un cas isolé, une excellente vidéo (bien plus professionnelle que la mienne) qui concerne Wanadoo, réalisée par Julien Mabut (Jum Tv) et qui probablement attristera à nouveau le sénateur Lambert, puisque c’est son nouveau fournisseur d’accès à Internet...


Remerciements : l’illustration initiale, parue sur Les Echos, a été publiée avec l’accord de son auteur, le dessinateur Dimitri Champain

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